Les jeux de casino offrent, une fois encore, l’occasion d’apporter des précisions sur la théorie des biens de retour.
Dans une décision du 17 juillet 2025 (n° 503317), publiée au recueil Lebon, le Conseil d’État a eu l’occasion d’apporter d’importants éclairages sur le régime des biens de retour dans le cadre de l’exécution d’un contrat de concession.
Revenons brièvement sur les faits : dans cette affaire, la commune de Berck-sur-Mer a cédé, en 1997, son ancienne gare routière à la société Groupe Partouche afin qu’elle aménage le bâtiment pour l’accueil d’un casino. La société Jean Metz, dont le Groupe Partouche était l’actionnaire unique, s’est vu attribuer la concession relative à l’exploitation du casino communal et des services associés. Elle a, dans ce cadre, conclu avec la société Groupe Partouche un bail commercial portant sur le bâtiment. Lors du renouvellement de la concession, la commune a lancé une nouvelle procédure de passation, exigeant des candidats qu’ils justifient d’un titre de propriété ou d’un contrat d’occupation d’un bâtiment destiné à accueillir le casino. Saisi par un candidat évincé, le juge du référé précontractuel a annulé la procédure estimant, notamment, que cette exigence n’était pas nécessaire
Le régime extensif des biens de retour dans le cadre des contrats de concession
Les biens créés, acquis ou apportés dans le cadre de la concession constituent des biens de retour
Par principe, sont qualifiés de biens de retour les biens meubles ou immeubles qui résultent d’un investissement du concessionnaire et sont nécessaires au fonctionnement du service public (cf. CE, 12 décembre 2012, Commune de Douai, n° 342788, jurisprudence désormais codifiée à l’article L. 3132-4 du CCP).
Deux conditions cumulatives sont donc nécessaires à la caractérisation d’un bien de retour :
- d’une part, le bien doit résulter d’un investissement du concessionnaire ;
- d’autre part, le bien doit être nécessaire au fonctionnement du service public.
Par la suite, la jurisprudence administrative a quelque peu étendu le champ d’application du régime des biens de retour.
En effet, plus récemment, le CE a jugé que le régime des biens de retour devait également s’appliquer dans l’hypothèse où le cocontractant de l’administration était propriétaire des biens antérieurement à la conclusion du contrat. En effet, dans un tel cas, ce dernier a, en décidant de conclure la convention, accepté d’affecter lesdits biens au fonctionnement du service public (cf. CE, 29 mai 2018, Ministre de l’Intérieur c. Communauté de communes de la Vallée de l’Ubaye, n° 402251).
Les biens appartenant à certains tiers peuvent également constituer des biens de retour
La Haute juridiction administrative ne s’était, jusqu’à lors, jamais prononcée sur l’application de la théorie des biens de retour aux biens appartenant à un tiers. Certaines juridictions de fond considéraient qu’un bien, propriété d’une personne tierce au contrat de concession, ne pouvait être considéré comme étant un bien de retour1. Cette position jurisprudentielle permettait aux casinotiers, au travers d’un montage contractuel ou sociétaire, d’écarter l’application du régime des biens de retour.
Dans sa décision 17 juillet 2025, le CE étend encore le régime des biens de retour. Dans cette affaire, il juge que, si en principe un bien appartenant à un tiers au contrat ne peut être qualifié de bien de retour, il en va autrement lorsque deux conditions cumulatives sont réunies :
- d’une part, il existe des liens étroits entre les actionnaires ou les dirigeants du propriétaire du bien et ceux du concessionnaire ;
- d’autre part, le bien est exclusivement destiné à l’exécution du contrat de concession, et a été mis à disposition du concessionnaire à cette fin.
Dans ce cas, le propriétaire du bien est réputé avoir consenti à ce que l’affectation du bien au service public emporte son transfert dans le patrimoine de la personne publique, selon les règles applicables aux biens de retour.
Les effets juridiques de l’application de la théorie des biens de retour
L’incorporation gratuite au patrimoine de la personne publique
Il se déduit de la jurisprudence et désormais du CCP, que les biens de retour appartiennent, dès leur réalisation ou leur acquisition, à la personne publique.
En outre, comme le rappelle cette décision du 17 juillet 2025, ces biens doivent revenir à la personne publique gratuitement, y compris dans le silence du contrat, sous réserve de leur complet amortissement.
Il est à noter que ce régime est d’ordre public. Aussi, les stipulations du contrat ne peuvent faire obstacle au retour gratuit à la personne publique de biens, nécessaires au service, créés au cours de la délégation. À ce titre, la personne publique est recevable à introduire un référé mesures utiles, fondé sur l’article
L. 521-3 du CJA, afin d’obtenir la restitution de biens de retour2.
En tout état de cause, l’autorité concédante conserve la possibilité de décider, s’il y a lieu, de faire reprendre par son cocontractant les biens qui ne seraient plus nécessaires au fonctionnement du service public.
La possible indemnisation du concessionnaire à l’issue du contrat
Par principe, le retour du bien dans le patrimoine de la personne publique est réalisé à titre gratuit. Cependant, la jurisprudence administrative n’exclut pas l’hypothèse d’une indemnisation du cocontractant. En effet, le CE admet que, dans certaines situations, le cocontractant puisse percevoir une indemnité.
Tel est le cas des biens non amortis en raison (i) d’une résiliation de la convention avant son terme, (ii) d’une durée du contrat inférieure à la durée de l’amortissement de ces biens ou encore (iii) d’une valeur de l’apport non correctement intégrée au calcul de l’équilibre économique.
Dans ces situations, l’indemnisation du cocontractant est généralement liée à la valeur nette comptable des biens, telle qu’elle figure au bilan ou telle qu’elle résulterait de l’amortissement de ces biens sur toute la durée du contrat.
L’essentiel étant qu’il n’en résulte pas une libéralité de la part de la personne publique3.
Références :
1 Par exemple : CAA Marseille, 16 décembre 2019, n° 18MA03183.
2 CE, 16 mai 2022, Commune de Nîmes, n° 459904.
3 CE, 19 mars 1971, Sieur Mergui, n° 79962
Précisions :
(i) Les jeux de casino peuvent constituer, selon la jurisprudence administrative, une activité de service public (CE, 25 mars 1966, Ville de Royan, n° 46504). Surtout, il est opportun de préciser que l’arrêté du 14 mai 2007, portant règlementation des jeux dans les casinos, impose que l’exploitation des jeux de casino soit réalisée au travers d’un contrat de délégation de service public dont la durée ne peut excéder 20 ans.
(ii) La Cour des comptes, dans ses rapports successifs sur les jeux de casino, a mis en avant les manœuvres permettant aux casinotiers d’empêcher l’application de la théorie des biens de retour. En effet, certains groupes dissociaient la société titulaire de la délégation de service public de celle propriétaire du bien nécessaire à l’exécution de l’activité afin de tenir en échec le régime des biens de retour. La décision du 17 juillet 2025 apporte ainsi une réponse à cette pratique courante parmi les grands groupes d’exploitants de casinos.
(iii) La notion de « liens étroits » n’est pas sans rappeler plusieurs notions de droit public. En effet, le CE a déjà eu recours à cette notion lorsqu’il s’agissait de déterminer si deux personnes morales distinctes